mardi 25 septembre 2012





MARDI 25 SEPTEMBRE 2012


La norme d'intervention en appel relativement au par. 24 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés

par Hassan Trabulsi
Étudiant en droit


Dans l’affaire R. c. Bellusci (2012 CSC 44), la Cour suprême nous rappelle qu’une réparation accordée en première instance sur le fondement du par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés ne doit être réformée que si le juge du procès s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice.

Les faits
Le 15 mai 2007, M. Asselin, agent de détention, a assuré le transport de détenus, dont M. Bellusci, entre le palais de justice de Montréal et un établissement pénitentiaire à Laval.
Sur la base de la preuve, le juge du procès est convaincu que M. Bellusci s’est livré à des attaques verbales, abusives, insultantes et grossières à l’endroit de M. Asselin. Suite à ces attaques, ce dernier a compromis la sécurité de M. Bellusci en dévoilant aux autres détenus à bord du fourgon cellulaire que M. Bellusci était un violeur. En réaction à ce dévoilement, M. Bellusci a menacé de violer l’épouse et les enfants de M. Asselin. Celui-ci a été blessé alors qu’il a entrepris d’ouvrir la cellule du fourgon et que M. Bellusci a violemment repoussé la porte sur lui. M. Asselin a ensuite agressé et blessé M. Bellusci, qui était alors enchaîné, menotté et entravé aux pieds dans une cellule du fourgon.
Le juge du procès en vient à la conclusion qu’il y a eu atteinte aux droits constitutionnels de M. Bellusci garantis à l’article 7 de la Charte canadienne et que l’arrêt des procédures constitue la réparation convenable dans le cas en l’espèce.
La Cour suprême se penche donc sur la question de savoir dans quelles conditions un tribunal d'appel pourra modifier la décision d'un juge de première instance quant à la réparation adéquate:
[17] Il est bien établi que l’ordonnance rendue en première instance sur le fondement du par. 24(1) de la Charte ne doit être réformée par une cour d’appel « que si [le juge du procès] s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice » : R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, au par. 117; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au par. 87.  
[18] Dans l’arrêt R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651, lorsqu’elle renvoie à Regan, la Cour confirme à l’unanimité qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable (le juge Rothstein, au par. 15; le juge Fish, au par. 51). Avec l’appui des juges Binnie et Abella, également dissidents quant au résultat, j’y affirme ce qui suit au sujet de la norme de contrôle convenue :
Sur présentation d’une demande fondée sur le par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, dès lors qu’une violation a été établie, le juge de première instance doit accorder « la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». La réparation doit assurer la protection des droits du demandeur, être équitable pour la partie visée par l’ordonnance et tenir compte de toutes les autres circonstances pertinentes. Un tribunal d’appel peut modifier la décision rendue par un juge du procès qui a exercé son pouvoir discrétionnaire uniquement si ce dernier a commis une erreur de droit ou rendu une décision injuste. Cela est particulièrement vrai s’il s’agit d’une réparation accordée par un juge de première instance sur le fondement du par. 24(1) de la Charte dont le libellé même confère le plus vaste pouvoir discrétionnaire possible à ce dernier. Enfin, les tribunaux d’appel doivent tout particulièrement se garder de substituer l’exercice de leur propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge du procès simplement parce qu’ils auraient accordé une réparation plus généreuse ou plus limitée. [Italiques employés dans l’original; par. 42.] 
Le juge Fish, au nom de la majorité, indique qu’à défaut d’une erreur de droit ou d’une conclusion de fait susceptible de contrôle, une cour d’appel doit déférer à l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire que confère au juge de première instance le par. 24(1) de la Charte. Tel qu’il a été mentionné dans l’affaire Bjelland, les tribunaux d’appel doivent tout particulièrement se garder de substituer l’exercice de leur propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge du procès simplement parce qu’ils ont accordé une réparation plus généreuse ou plus limitée.
La Cour suprême en vient donc à la conclusion que le juge du procès n’a commis aucune erreur quant au droit applicable ni d’erreur de fait susceptible de contrôle. L’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’ordonner l’arrêt des procédures n’est pas non plus erroné au point de créer une injustice.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/Ut8dHl

lundi 3 septembre 2012


L'intérêt pour agir du représentant en matière de recours collectif

par Hassan Trabulsi
Étudiant en droit

Dans le présent billet, je traite des modalités qu’un requérant doit respecter afin de demander l’autorisation d’exercer un recours collectif quant à son intérêt pour agir. En effet, la Cour d’appel du Québec vient de rendre une décision fort intéressante portant sur le sujet dans l’affaire Banque de Montréal c. Marcotte(2012 QCCA 1396). Ce litige concerne les frais de conversion que les institutions financières ajoutent sur les états de comptes des clients, lorsqu’ils font des achats en devise étrangère ou lorsqu’ils utilisent leur carte de crédit à l’étranger.


Les faits, brièvement: 

Un relevé de compte mensuel, acheminé au détenteur d’une carte de crédit, M. Réal Marcotte, fût l’élément déclencheur d’un recours collectif contre plusieurs institutions financières. M. Marcotte vit porter à son compte des frais de conversion établis selon un pourcentage fixe du montant converti (entre 1.5 et 2.5%) pour des paiements en devises étrangères.

Il dépose une première requête en autorisation d’exercer un recours collectif contre neuf banques et la Fédération des caisses populaires Desjardins (Desjardins) afin de représenter tout détenteur de carte de crédit en pareille situation. L’intimé prétend que les institutions financières concernées ont enfreint la Loi sur la protection du consommateur en omettant de traiter les frais de conversion comme des frais de crédits au sens de cette loi. Il ajoute que ces frais de conversion devaient être inclus dans le taux de crédit indiqué sur les relevés, calculé selon la méthode prescrite par la LPC, et ils ne pouvaient être exigés des clients qui acquittaient le solde de leur compte dans le délai de grâce applicable.

Cette capsule portera spécifiquement sur les conditions de l’autorisation d’un recours collectif et la fin d’une controverse qui s’est réglée avec la décision Bouchard c. Agropur Coopérative. Cette controverse est née du fait qu’il était possible de poursuivre tous les membres d'une industrie pour des pratiques considérées communes. La décision précitée a réglé la controverse en édictant qu'un requérant qui veut demander l'autorisation d'intenter un recours collectif contre plusieurs intimées doit avoir un lien de droit avec chacune d'entre elles.

Le juge Dalphond nous rappelle premièrement que le requérant doit avoir un intérêt dans la cause d’action. Cet intérêt, pour être suffisant, doit être personnel et direct: 
[61] Cet intérêt peut découler d'un lien contractuel entre le demandeur et le défendeur qu’il a assigné ou d'un manquement extracontractuel de la personne assignée envers le demandeur. Cela ne signifie cependant pas que le demandeur doit toujours être la personne qui possède cet intérêt, comme la victime d'une faute qui poursuit l'auteur de cette dernière. En effet, notre droit reconnaît à certains la capacité de poursuivre au nom de la personne qui a l'intérêt (par exemple : le tuteur pour le mineur (art. 159C.c.Q.), le tuteur ad hoc (art. 190 C.c.Q.) ou le mandataire en vertu d'un mandat d'inaptitude (art. 2166 C.c.Q.)). Cette reconnaissance de la capacité d'agir au nom d'autrui découle soit d'une habilitation législative expresse (par exemple : la tutelle des parents à l'égard de leurs enfants mineurs et non émancipés, art. 192C.c.Q.), soit d'une délégation (par exemple, art. 200 C.c.Q.) ou d’une décision judiciaire (art. 205C.c.Q.). C'est pourquoi l'art. 55 C.p.c. parle d'un « intérêt suffisant » et non d'un intérêt juridique personnel. Comme le souligne la Cour dans l'arrêt Agropur, précité, au par. 103, il faut distinguer entre cause d'action et intérêt pour agir. 
[62] Lorsque le recours est intenté au nom d’une autre personne, sa validité est tributaire de la qualité du représentant et de l'intérêt juridique du représenté; un défendeur pourra donc possiblement soulever deux moyens d'irrecevabilité, l'un pour défaut de qualité du représentant (art. 165(2) C.p.c.) et l'autre, pour absence d'intérêt juridique du représenté (art. 165(3) C.p.c.).
Pour ce qui est de l’intérêt juridique nécessaire pour représenter les membres du groupe proposé, la Cour d’appel du Québec nous rappelle que cette question relève de l’analyse requise par l’art 1003 du C.p.c :
[76] À ceux qui craignent des poursuites ingérables ou sans fondement, je rappelle que lorsqu'il/elle est saisi(e) d'une requête pour autorisation d'introduire une action collective contre plusieurs défendeurs, le/la juge doit s'assurer que le requérant est en mesure de représenter adéquatement tous les membres du groupe (art. 1003d)C.p.c.). Cela justifie de vérifier son degré de connaissance de la situation des personnes qu'il voudrait représenter, particulièrement à l'égard de défendeurs contre qui il ne peut personnellement réclamer quoi que ce soit, et ce, pour éviter, notamment, un recours à l’aveuglette. Le recours collectif n’est pas une procédure d’enquête sur un secteur commercial ou industriel! 
[77] Le requérant devra aussi démontrer que même s'il n'a pas une cause d'action personnelle contre certains défendeurs, il existe un nombre suffisant de personnes dans le groupe qu'il propose qui l’auront si le recours est accueilli sur le fond (art. 1003c) C.p.c.). Le/la juge doit aussi s’assurer de l'existence de questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes à l'égard de tous les défendeurs recherchés (art. 1003a) C.p.c.).  
[78] Dans le cadre de son analyse, le/la juge devra s'interroger sur l'opportunité de décrire un groupe qui se compose dans les faits de plusieurs sous-groupes (art. 1005C.p.c.), s'assurer que ce groupe n'est pas inutilement large, sans nécessairement exiger que ses membres partagent exactement le même intérêt dans le règlement de la question commune, et tenir compte de la complexité que cela peut ajouter au dossier, des délais possibles, des modalités de recouvrement et de liquidation des réclamations si le recours est accueilli au fond, etc., comme l'exige l'art. 4.2 C.p.c. (Éric McDevitt David, « La règle de proportionnalité de l’art. 4.2 C.p.c. en matière de recours collectif », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en recours collectifs, vol. 278, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 315).
La cour d’appel conclut que le recours collectif a été autorisé et le statut juridique de représentant a été conféré à M. Marcotte. Tous les membres du groupe avaient en commun un litige de même nature, découlant des mêmes dispositions législatives et des mêmes pratiques des banques poursuivies. Dès lors, on pouvait accorder à M. Marcotte le statut de représentant à l'égard des neuf banques sans craindre qu'il ne soit pas en mesure de bien comprendre la situation propre à chacun des membres des sous-groupes et de diriger adéquatement la défense de leurs intérêts, peu importe la carte détenue ou la banque émettrice. Une fois nommé, M. Marcotte, en sa qualité de représentant des clients des sept autres banques, était investi de l'intérêt juridique suffisant pour initier l'action collective.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/Tbg93U
Référence neutre: [2012] ABD 310

Autre décision citée dans le présent billet:


1. Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342.